Pouvez-vous vous présenter en quelques mots?
Laurent Alberti: J’ai grandi côté Savoie, à 30km de Genève, j’ai donc bien connu la Suisse romande depuis tout petit. Je m’en suis éloigné lorsque je suis parti faire mes études à Paris, puis au gré de mes affectations à l’étranger (Pays-Bas, Slovénie, Hongrie, Afrique du Sud), mais m’y voici à nouveau depuis un an et demi et ma nomination au Consulat Général à Zürich.
Cécile Heïdi Clonts: J’ai une double culture, un pied en Auvergne par ma mère… et un aux Etats-Unis par mon père. Comme Laurent, cela m’a conduite vers un parcours professionnel centré autour des relations internationales, d’abord dans le privé; le secteur du luxe et des cosmétiques, puis dans le monde opposé qu’est celui de l’aide internationale où je me suis spécialisée dans l’appui aux entreprises pour l’accès aux marchés financés par les Institutions Financières Internationales, notamment auprès de l’Agence française de Développement, une institution financière publique qui œuvre pour le développement économique des pays émergents et en voie de développement. Il y a plus de 10 ans, j’ai rejoint Business France, en travaillant d’abord dans les pays nordiques, puis au siège parisien via plusieurs fonctions managériales et enfin ici en tant que directrice Suisse depuis 2 ans.
Qu’est-ce qui vous a conduit.e en Suisse?
Laurent Alberti: Au ministère, on doit changer de poste tous les 3 ou 4 ans. Après mon expérience en Afrique du Sud, je devais choisir un autre poste, et la Suisse était mon premier vœu car je voulais revenir en Europe, près de ma famille. Et d’un point de vue professionnel, le consulat à Zurich est un consulat très intéressant, donc il ne m’en fallait pas plus pour candidater.
Cécile Heïdi Clonts: Avec mon prénom, on pense souvent que j’ai des attaches intimes avec la Suisse, alors que pas du tout (rires), il s’agit d’un choix: je connaissais la Suisse via Genève et le spectre onusien, et je me suis dit que c’était une destination séduisante tant sur le plan professionnel que personnel.
À quoi correspond votre mission ici?
Laurent Alberti: Le rôle premier du Consulat Général de Zürich est d’accompagner la communauté française de Suisse alémanique, qui représente environ 50’000 personnes. C’est certes trois fois moins que celle vivant en Suisse romande, mais pour l’anecdote, c’est plus que pour le consulat de Los Angeles ou San Francisco! Plus globalement, notre rôle est de répondre aux différents besoins de service public de cette communauté, mais surtout de s’adapter à son évolution: démarches administratives, organisation des élections françaises pour les citoyens établis en Suisse, liaison avec les établissements scolaires français en Suisse, questions transfrontalières, ou encore accompagnement des différentes opportunités professionnelles en Suisse pour nos concitoyens. Nous échangeons régulièrement avec les cantons et les services de l’ambassade, et bien sûr avec Business France.
Cécile Heïdi Clonts: Business France est une agence de l’Etat, rattachée au Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères et au Ministère des Finances et de l’Economie. Nous sommes présents dans plus de 80 pays avec pour mission l’amplification des relations économiques et commerciales entre la France et ses pays partenaires. En Suisse, cela se traduit par exemple par l’accompagnement de plus de 400 entreprises françaises par an qui cherchent à s’y développer, ou à contrario, par l’identification et l’accompagnement d’investisseurs suisses dans leurs projets d’investissement en France. Cette mission doit être menée en lien étroit avec l’Ambassade de France, car cela suppose d’être aligné avec les priorités diplomatiques de la France (sur la question énergétique par exemple).
Plus spécifiquement, nous sommes aussi chargés de faire prendre conscience aux entreprises françaises de la réalité de la Suisse! Elles ont parfois l’impression qu’il ne s’agit que d’une extension de la France, or nous ne sommes plus dans l’UE… que c’est un pays un «traditionnel» dirons-nous, alors que c’est un pays très dynamique, l’un des plus innovants au monde et ce dans de nombreux domaines. Et surtout, c’est un pays où rien n’est acquis pour les entreprises françaises.
Quelles sont, selon vous, les spécificités des relations franco-suisses?
Cécile Heïdi Clonts: En tant que voisins, les relations économiques entre les deux pays sont très fortes et pourtant sous-estimées. La Suisse représente le deuxième excédent commercial de la France à l’échelle de l’Europe. La France est le 4e fournisseur de la Suisse de biens. A l’inverse, la Suisse est le 2nd pays investisseur en France en stock et le 3ème employeur étranger avec plus de 1'300 filiales d’entreprises suisses établies. Le poids de relation économique franco-suisse est majeur mais le lien est aussi culturel, et c’est une vraie opportunité d’avoir la francophonie qui les relie.
J’ajouterais néanmoins que le fédéralisme suisse est un challenge pour les entreprises françaises que nous accompagnons car il faut s’adapter à différentes législations déjà, mais aussi à des différences culturelles entre chaque canton. Il y a des nuances qu’elles doivent appréhender.
Laurent Alberti: La Suisse est effectivement un pays voisin, donc par définition la relation institutionnelle est extrêmement étroite et concerne tous les sujets, des questions les plus générales comme la politique internationale et européenne ou la coopération policière ou militaire, comme aux questions pratiques du quotidien: lorsqu’il faut connecter une ligne de tramway des deux côtés de la frontière ou harmoniser la tarification, la relation franco-suisse doit être étroite.
L’avantage pour moi, c’est que cette proximité institutionnelle s’accompagne aussi d’une proximité culturelle et humaine, puisque la communauté française en Suisse est très importante. Elle l’est forcément plus en Suisse romande grâce à la langue française, mais elle se développe de plus en plus en Suisse alémanique qui reste le cœur économique de la Suisse et qui attire de plus en plus d’étudiants français.
Avez-vous observé des différences marquantes entre la vie professionnelle en Suisse et en France?
Cécile Heïdi Clonts: Les relations sont plus orientées business ici, et beaucoup plus pragmatiques, je le vois au quotidien. Un exemple: il y a peu de rendez-vous business dits «de courtoisie», au contraire de ce que l’on vit en France. Il n’y a d’interaction que si cela nourrit un intérêt avéré. Cela peut paraître abrupt, mais c’est une marque de respect pour le partenaire commercial et une façon d’accorder de la valeur au temps de chacun. Idem pour les réunions dites d’affaires. Elles sont organisées de façon très structurées anticipées en termes d’objectifs avec des suites assignées à chacun. Cela parait être basique, et pourtant…
Laurent Alberti: De mon côté, je ne suis pas le mieux placé pour répondre. Je travaille majoritairement avec des interlocuteurs français, en langue française, et le consulat général est un petit morceau de France à l’étranger avec un fonctionnement largement «à la française». Je suis toujours frappé par les bureaux modernes et bien organisés de nos interlocuteurs suisses, par un rythme qui semble régulier et des relations interpersonnelles qui semblent posées et apaisées.
Qu’est-ce qui vous plaît particulièrement dans la vie en Suisse?
Laurent Alberti: Le cadre de vie. C’est tout simplement beau! C’est un plaisir de voyager en train et de profiter du paysage. Le transport public est bien organisé et ponctuel avec des infrastructures bien entretenues et en maintenance régulière. Cela peut donner l’impression que tout est en travaux permanent, mais c’est un gage de qualité et de fiabilité.
Cécile Heïdi Clonts: Je rejoins Laurent, le cadre est exceptionnel y compris pour une vie de famille de qualité avec de jeunes enfants avec l’accès au lac et à la montagne. Côté professionnel, les transports sont finement rodés. Cela me permet aisément d’être réactive et d’improviser ces déplacements en toute sérénité. La Suisse n’est pas qu’une carte postale!
Quels défis avez-vous rencontrés en vous installant ici?
Laurent Alberti: A Zürich le défi général c’est le logement, pour tout le monde. Cela prend du temps et de l’énergie. L’autre, c’est la langue: l’allemand, mais c’est encore mieux si l’on parle le dialecte local. Je n’aurais jamais demandé cette affectation sans parler l’allemand, et je pense qu’il est difficile de vivre au quotidien à Zürich si on ne parle que français.
Cécile Heïdi Clonts: Comme toute expatriation il y a le coût d’entrée qui suppose d’organiser son intégration professionnelle et celle de sa famille. Je pensais à tort qu’en tant que pays voisin l’intégration serait facile, mais il y a un choc culturel auquel il faut se préparer. Il m’a fallu du temps pour comprendre comment fonctionnait la Suisse, surtout dans sa partie alémanique, mais j’apprécie maintenant tout ce qui me surprenait auparavant. Une fois que l’on comprend qu’une des finalités recherchées est le maintien d’une bonne qualité de vie, on vit les choses sous un autre angle!
Avez-vous une anecdote marquante vécue depuis votre arrivée sur le territoire?
Laurent Alberti: Je parlais des différences culturelles, l’état des lieux d’un appartement en est une. Ici, il est toujours livré en excellent état, et absolument tout est consigné dans l’état des lieux. Mais ça veut donc dire qu’à la sortie, il faudra faire aussi un état des lieux extrêmement précis et laisser un appartement cliniquement stérile (rires)! Ce qui m’avait surpris personnellement, c’est quand le propriétaire m’avait expliqué pendant 30 mn comment trier mes poubelles.
Cécile Heïdi Clonts: Le tri de la poubelle je ne l’ai toujours pas complètement intégré (rires)! À mes débuts en Suisse, quand je pensais pouvoir monter dans les bus stationnés au feu rouge, habitude parisienne (gagner du temps! ) … mais on m’en interdisait l’accès… cela m’agaçait. Maintenant j’en ris! Dans le cadre professionnel, ce qui m’a le plus marqué ce sont ces réunions menées en plusieurs langues (allemands, anglais, français) selon ce qui mettait les interlocuteurs à l’aise. Un vrai signe d’ouverture.
Quels conseils donneriez-vous à un Français souhaitant s’installer en Suisse?
Laurent Alberti: En Suisse alémanique, le meilleur conseil c’est d’avoir un bon niveau d’allemand, sauf si on est assuré de travailler en anglais et qu’on assume de vivre dans le monde de l’expatrié qui ne parle qu’anglais. Sinon, rester humble, ouvert, écouter et laisser du temps au temps sont les meilleurs gages pour développer son réseau ici.
Cécile Heïdi Clonts: C’est exactement les conseils que l’on donne aux entreprises, qui ont souvent tendance à vouloir répliquer le mode de fonctionnement français. Il faut changer de logiciel.
Comment voyez-vous l’avenir de votre mission ou de votre présence en Suisse?
Cécile Heïdi Clonts: Côté professionnel, le quotidien est tellement varié du fait de la typologie des interlocuteurs et des sujets traités, le tout en lien avec le contexte commercial et économique mondial, que les perspectives sont en fait nombreuses, et j’ai encore beaucoup d’idées à mettre en œuvre. D’un point de vue personnel, nous sommes là pour une période plus ou moins longue, alors on s’efforce autant que possible de découvrir la Suisse et ses spécificités. Je n’ai pas encore parcouru les vignobles suisses!
Laurent Alberti: Au niveau pro, l’activité du consulat se poursuit, nous avons des projets immobiliers pour l’année prochaine. Au niveau perso, on est envoyé ici pour 3 ou 4 ans, et puis l’avenir est ouvert.
Que pensez-vous du site Ma vie en Suisse et les opportunités de notre partenariat?
Laurent Alberti: Pour nous c’est un site extrêmement important, complémentaire des informations administratives données par le Consulat Général (renouvellement de passeport, déclaration de naissance, bourse scolaire, élections etc.), notamment sur la partie vie quotidienne.
Cécile Heïdi Clonts: Pour ma part, à titre personnel, cela m’aurait été très utile quand je me suis installée en Suisse, l’outil est extrêmement complet pour préparer son installation. Du côté de Business France, nous recommandons le site au personnel français des entreprises que l’on côtoie, mais aussi à nos 240 VIE (Volontaires internationaux en entreprises) dont nous avons la charge… parce que s’expatrier en Suisse en tant que jeunes comporte aussi son lot de difficultés! MVES leur est précieux!
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